Impossible de parler de Senghor, premier président du Sénégal indépendant, sans parler de sa griotte Yandé Codou Sène qui fit rayonner la culture sérère. Grâce à Youssou Ndour, elle la fit connaître au monde entier.
Yandé Codou Sène est une figure emblématique de la culture sénégalaise, particulièrement de celle des Sérères, dont elle partageait le patrimoine avec Léopold Sedar Senghor, lui aussi originaire de la région du Sine. Ce dernier, devenu président du Sénégal indépendant, mit sous les projecteurs cette dame à la voix grave et captivante. Tout au long de son règne, il sera accompagné par cette grande dame, restée dans l’histoire comme la « griotte de Senghor. » D’ailleurs, raconter le règne et la vie du poète-président Senghor sans parler de Yandé Codou Sène est un exercice quasi-impossible. Leurs vies sont liées. Tous les deux, Yandé et Léopold, partagent cet amour pour leur région d’origine. Pour le conteur et écrivain Massamba Gueye, ils sont les « deux faces d’une même pièce. »
L’histoire de deux inséparables
Née en 1932 à Somb dans la grande province du Sine-Saloum, Yandé Codou Sène est initiée dès son plus jeune âge au chant sérère par sa maman. Elle acquiert les connaissances vocales, assimile les textes historiques et fréquente assidument les cérémonies familiales dans sa région où elle fait déjà découvrir sa voix unique. Très vite, sa réputation dépasse les frontières de sa contrée. Senghor, qui la rencontre chez son frère alors qu’elle n’a que 16 ans et qu’il est déjà député, la consacrera au rang d’icône nationale quand il arrivera au sommet de l’Etat. Issu de la bourgeoisie du Sine, il a grandi avec le chant et la poésie sérères. Devenu poète et homme politique, Yandé Codou Sene est celle qui le ramène à son royaume d’enfance. Quand Yandé Codou chante, Senghor se souvient de son Joal natal, de ses parents, de ses aïeux et de sa culture profonde. Voilà pourquoi il en fera sa griotte « officielle ». Lors des tournées politiques, Yandé Codou devait devancer Senghor dans chaque ville, pour l’accueillir en chantant. Comble de leur complicité, elle était la seule personne à avoir le droit d’interrompre les discours du Président pour entonner spontanément un de ses légendaires chants de louanges. Senghor construira une maison pour elle et lui offrira une voiture, en plus d’autres cadeaux inestimables. La chanteuse a d’ailleurs ému le monde en chantant aux obsèques du Président-poète en 2001.
Après le père Senghor, le fils Youssou
Mais malgré sa renommée, la grande dame n’enregistre qu’en 1998 son premier album en son nom, baptisé Night Sky in Sine Saloum. Comme la célèbre chanteuse Aminata Fall (dont PAM vous a déjà parlé), c’est c sur le tard qu’elle a découvert les studios. Trois ans auparavant, en 1995, Youssou Ndour, conscient du patrimoine que représentait Yandé Codou, avait décider de l’enrôler pour mieux la faire connaître au monde. Ils enregistreront l’album Gaïndé et un autre, dénommé Youssou N’Dour Presents Yandé Codou Sène, tous deux très bien accueillis par la critique. S’en suivirent des tournées un peu partout en Europe. Mais cette fois-ci, la griotte chante sans le Président (mais avec un futur ministre !).
Parmi ses plus beaux tubes on peut citer « Gaïndé » dédié au lion, emblème de la nation sénégalaise dans laquelle elle chante la bravoure du roi de la forêt : « Le Lion ne se nourrit pas de feuilles. Il abat sa proie avant de la dévorer » chante-t-elle. C’est une invitation au travail, à la patience et à la persévérance qu’elle adresse à la jeunesse de son pays.
Il y a aussi la chanson « Less Waxul ». Bien qu’interprétée par Youssou Ndour dans un précèdent album, la reprise que la diva va faire avec son « fils » Youssou est époustouflante. Le texte qui dénonce les jugements hâtifs et la médisance, rappelle la nécessité d’aller à la source pour avoir la bonne information, surtout de prendre du recul et d’analyser avant de condamner ou de prendre position. Le troisième tube dont on peut parler c’est évidemment… « Léopold Koor Joor » que Yandé a offert à son Président. Elle lui en dédiera bien d’autres, dans ce style si typique, où le chant a cappella et les chœurs polyphoniques dominent la chanson avant d’être rejoints par les autres instruments. Un pur chef-d’œuvre.
Les traces d’une griotte majuscule
Yandé Codou a aussi chanté pour des bandes originales de film comme dans Mossane de Safi Faye paru en 1996, mais aussi dans la bande originale de Faat Kiné du grand réalisateur Ousmane Sembene en 2000. Enfin, dans Karmen de Joseph Gaï Ramaka, Yandé joue le rôle d’une chanteuse au bord du fleuve. Sa vie palpitante a aussi fait l’objet de multiples documentaires parmi lesquels Yandé Codou Sène, la Diva sérère, de Laurence Gavron en 2008 et Yandé Codou la griotte de Senghor d’Angèle Diabang.
Yandé Codou chante le pays sérère, témoigne de la richesse du Sénégal et enrichit le patrimoine universel. Les 20 ans au pouvoir de son Léopold lui auront permis d’accomplir tout cela. Lorsque ce dernier quitte ses fonctions de Chef d’Etat en décembre 1980, Yandé poursuit sa carrière loin des palais tout en continuant d’être la gardienne de l’histoire du Sine-Saloum. Naturellement, les années de plomb que retiennent les adversaires de Senghor, la chasse aux opposants, elle n’en avait cure. Ce qui l’intéressait, ce n’était pas le débat sur la gestion, c’était son Senghor, c’était son Sine.
Après une vie remplie au service du Sénégal et de son Président, Yandé Codou tirait sa révérence à Gandiaye dans le région de Kaolack en 2010 à l’âge de 78 ans. Elle a laissé des héritières qui poursuivent son oeuvre, notamment son groupe de choristes Amy Sène, Khady Diouf, Guigneba Sène, Fatou Gningue et surtout sa fille la talentueuse Aïda Mbaye.